Elle est assise derrière une petit bureau en bois, et je la vois broder ces petites perles de corail pour créer ce qui ressemble à une bague. Son aiguille est minuscule, et le fil presque invisible. Elle est fine, brune et son haut est assortie aux perles éparpillées sur le tissu clair posé sur le bureau. Elle lève la tête de son ouvrage et m’offre un large sourire.

Nous sommes à Alghero, ville fortifiée sur la côte ouest de la Sardaigne.  Cette ville est connue pour avoir appartenu aux Catalans mais également pour son corail rouge. La ville est tapissée de magasins en tout genre, vendant le fameux corail en souvenir : colliers, bracelets, bagues, boucles d’oreilles…. Celui ci a attiré mon attention, il est moins tape à l’œil que les autres, tout petit et chaleureux avec ses meubles et ses miroirs anciens. Quand je rentre, je vois cette fille et ses fines mains coudre du corail. Les bijoux de cette boutiques semblent plus travaillés, comme brodés en une sorte de résille pour habiller un cou, une main ou un poignet. A côté d’elle, debout se tient une femme d’un certain âge au cheveux gris très élégante. C’est Maria, l’artiste et la patronne et assise à ses côté c’est Rosa, l’apprentie.

 

Maria a 80 ans, elle fabrique des bijoux de corail depuis l’âge de 30 ans. Elle le visage des gens qui sont toujours restés jeunes dans leurs têtes : ses yeux pétillants et son port de tête sont un pied de nez aux années. “Je suis arrivée en Sardaigne par amour. Je vivais en Italie et j’étais comptable !” me traduit de l’italien Rosa qui parle un peu anglais. Son amour était artiste peintre, elle décida de se lancer dans la création de bijoux, trouvant son inspiration dans l’antiquité aux fils des nombreux voyages qu’elle a accompli : Egypte, Mongolie, Chine…  “Même si je m’inspire ailleurs, je suis une artiste qui invente. J’ai crée plusieurs points moi même.” Voyant l’un des colliers fait de résille croisée tout en corail, je lui pose la question du nombre d’heures passées sur les ouvrages. Elle rigole. “Je ne compte pas ! Le plus important, c’est d’avoir l’idée en tête au départ et de savoir la réaliser. Ensuite, c’est comme de la méditation.” Rosa sourit “C’est une passion, me dit cette dernière, elle fera ça jusqu’à la fin de sa vie.” Maria enseigne à Rosa son art, ses points compliqués, lui apprend à bien choisir et acheter le corail. “Mais le plus important est de capter l’esprit. Je donne mon art à quelqu’un, je lui transmet.”

Rosa doit avoir la trentaine, pas mal d’années de vadrouille et de petits boulots entre Londres, Barcelone, Paris, et Bologne où elle fera des études de langues. Rien ne la destine à la Sardaigne ou au corail. Le hasard un peu. Comme Maria, c’est l’amour qui emmène Rosa à Alghero il y a 5 ans. Elle est tombée amoureuse d’un photographe Sarde à Barcelone. Lui même devenu ami comme un frère d’un pianiste rencontré aussi là bas : le neveu de Maria…

En janvier de cette année, Maria, au cours d’un repas familial, lui propose de reprendre le flambeau du magasin et de ses créations. ” Je n’avais plus de boulot, je m’apprêtais à trouver autre chose, n’importe quoi. Puis elle m’a proposé ça. J’admirais son travail ! Je lui ai dit que je n’étais pas du tout créative, qu’il fallait qu’elle me montre ce que je devais faire et que je le reproduirais.” Maria balaye ses craintes, lui expliquant que la créativité vient en travaillant et surtout en regardant autour de soi. Ouvrir les yeux pour trouver l’inspiration dans les gens, les rues, la nature, partout, tout le temps. “Je me suis dit qu’il fallait que je prenne mon courage à deux mains, pour ne pas que les bijoux de Maria disparaissent. Elle m’a permis de me révéler, de me donner un travail qui me fait rencontrer des gens de partout, d’avoir la curiosité de leur parler, de demander ce qu’ils font. Quand les gens rentrent dans le magasin, qu’ils achètent ou pas ils finissent toujours pas discuter. Ça me plait.” me dit-elle de son grand sourire. Elle qui adore voyager, elle est transportée d’un pays à l’autre depuis la petite boutique d’Alghero, au fil des rencontres.

Rosa m’apprend que depuis les années 90, les autorités ont restreinte la pêche au corail à Aghero. Seuls une vingtaines de licences ont été données à des pêcheurs qui ont droit de plonger avec des bouteilles mais ne peuvent ramener que de petites quantités. La plupart du corail qui est travaillé ici provient du bassin méditerranéen.

” Quand je vois Maria choisir le corail qu’elle va acheter, c’est comme si je voyais un film d’Almodovar. Des centaines de lignes de perles sont étalées sur la table, elle les caresses en les faisant rouler doucement sous ses deux mains, elle les regarde et d’un geste lent elle en choisi quelques unes. C’est toujours les plus belles. Elle sait les voir, les sentir.”

La boutique chante au sons des voix et des éclats de rires de Maria avec deux clientes italiennes qui essaient des colliers. Je vois bien que c’est plus qu’un commerce mais un lieu de vie où se racontent les histoires. Maria n’a pas d’enfant, mais ses créations vont perdurer aux travers les mains de la jeune Rosa. Une autre histoire…