On appelle ce territoire, une partie de Panama et son archipel de 340 îles, les San Blas. Pour les Kuna, les indiens qui y habitent, c’est Kuna Yala. Leur terre, leur culture et leur traditions préservées au prix de luttes violentes et de massacre contre les espagnols en 1750 en puis contre le gouvernement Panaméen en 1925. Ces terres pour la plupart inhospitalières leur appartiennent, c’est devenu un territoire autonome qu’ils gèrent. Le continent est fait de jungle dense et dangereuse qu’ils ont quittés pour les îles faites d’un peu de sable, de cocotiers et parfois d’un peu de mangrove. Elles affleurent à un petit mètre du niveau de la mer. Cette mer qui ronge les plages que les racines de cocotiers laissent filer entre leur fines racines. Des îles en sursis.

On ne peut y accéder qu’en voilier ou en barque depuis la terre. Et pour les voiliers, c’est une sacrée aire de jeu… Imaginez plus de 300 îlots séparés les uns des autres de quelques milles. Le tout dans une mer plutôt calme car protégée par les très nombreux récifs et barrières de corail autour. Pour y accéder, il faut naviguer l’œil bien ouvert rivé sur l’eau et les cartes. Des épaves, il y en a des centaines échouées sur les récifs pour nous rappeler qu’ici c’est la mer qui commande et que ces petits trésors d’îles ne se gagnent pas si facilement. On a navigué jusqu’ici avec Luar, un magnifique voilier appartenant à Claudio et Feli, des Italiens.

Le décor est digne des posters en vitrine des agence de voyage, une image ancrée dans l’inconscient collectif comme l’absolu du dépaysement : une île, des palmiers, le sable blanc, le ciel bleu.

 

De petites îles caressées par une eau turquoise, presque transparente, illuminée par le scintillement de milliers de coquillages et corail pilés qui constituent le sable blanc que vous marquez fièrement de vos empreintes de pieds. Devant vous, une dizaines de cocotiers chargés de coco qui ne demandent qu’à être ouvertes et bues à même la noix. Des feuilles de palme d’un vert intense se balancent doucement sous la brise. Des oiseaux chantent dans une langue tropicale inconnue. Parfois, une hutte faite de bambou au toit de palmes séchées laisse entendre que l’endroit est habité. Dans ces huttes, rien n’a bougé depuis des centaines d’années. Pour dormir des hamac suspendus à la charpente, au sol de la terre compactée par les allées et venues de leur habitants. Dans un coin, des bûches brûlent à même le sol pour faire bouillir une marmite noircie. La fumée s’échappe par les interstices entre les bambous qui constituent le mur. Il fait sombre mais il semble faire bon vivre.
Bon, ça c’est l’image poster vacances. L’eau était assez trouble et peuplée de crocodiles sur certaines îles. Et comme on a vu un requin marteau échoué sur une plage, on se baignait avec une petite appréhension. Quand le soleil se couche, impossible de rester sur la plage c’est l’heure des rein-rein, de minuscules insectes qui vous mordent par centaines ! Et puis les Kuna se sont adaptés au tourisme : ce sont de très bons commerçants ! Tout s’échange contre des billets verts.

Avant l’introduction de l’argent, la “monnaie” d’échange était la noix de coco. C’est d’ailleurs toujours interdit de les ramasser, même sur les îles inhabitées : chaque cocotiers appartient à quelqu’un !

Les guides expliquent que c’est l’une des rares tribus qui a survécu à la colonisation espagnole au XVIème siècle. Je m’attendais à trouver des indiens en pagne, le nez percé par un bout de bois, glissant sans bruit sur leurs pirogues pour venir à notre rencontre. Non, cliché ! Depuis Christophe Colomb les indiens ont pris le train de l’évolution. Ils paraissent d’ailleurs avoir choisi et non subi cette modernité. Téléphones portables – qu’ils rechargent sur les bateaux des touristes ou sur des batteries solaires – fringues à l’occidentale pour les jeunes et usage du dollars américain. Une télé parfois dans certains villages. C’est tout. Les enfants sont en short et T-shirt tandis que les femmes sont en habits traditionnels : une blouse fleurit en polyester barrée sur le ventre par un plastron représentant des animaux, des fleurs ou des dessins géométriques brodés. Ce sont des Molas. Aux bras et aux mollets de rangées de perles. Sur la tête un fichu rouge, et sur les hanches un tissu enroulée en guise de jupe longue. Certaines ont des anneaux en or épais au centre de la cloison nasale et un peu de peinture rouge sur les pommettes. Elles sont d’une beauté rare.

Les techniques de broderies se transmettent de mère en fille. Il faut 1 mois pour faire un Mola, lesquels seront vendu entre 20/25$  à l’extérieur des huttes ou cousu sur l’une de leur blouse. Dans les villages plus traditionnels, c’est le chef du village qui réunit toutes les femmes sur une place centrale pour proposer les Molas aux touristes : comme ça, pas de jaloux, pas de maison mieux placée qu’une autre, c’est le visiteur qui choisit en fonction de ses goûts.

D’ailleurs, ils appellent leur villages des communautés car ils vivent et pensent collectif. Dans cette même île, le petit restaurant situé sur une plage à la sortie du village était tenue à tour de rôle par les habitants pour accueillir d’éventuels voiliers. Et quand un voilier vient pour manger, ils vont chercher le cuisinier au village. Les bénéfices sont reversés à la communauté pour acheter des panneaux solaires par exemple ou des ampoules Led qui éclaireront les chaumières la nuit.

Pour le reste, les femmes brodent, les hommes pêchent.

Je rencontre Cristobaline sur l’île de Coco Bandero. Elle et son mari habitent sur ce petit bout de sable large et long d’une dizaines de mètres. Sous les cocotiers, une cabane pour abriter le feu et une tente. Ils n’ont pas été autorisé par la communauté à qui appartient cette île à construire une hutte, mais peuvent récupérer les cocos de l’île. Ils sont beaux parce qu’ils ont l’air heureux sur leur bout de terre. Leurs enfants habitent Panama City et eux même y ont vécu pour travailler. Toute la journée, il fabriquent des bracelets de perles qu’ils vendent aux hypothétiques voiliers qui s’arrêteront devant chez eux. Ils pêchent si ils ont faim. Ils regardent la mer. Ils préparent à manger. Ils semblent heureux de ce qu’ils ont.


Ils ont un petit chien minuscule nommé Suissa. “C’est quelqu’un d’une autre île qui me l’a donné. Au début j’en voulais pas, il était moche ! Mais maintenant on s’y est attachés.” me dit-elle avec son sourire qui laisse voir deux dents en or devant. Ses poignets et ses mollets sont décorés de nombreuses rangées de perles formant un motif. Ils appellent ça des Wini. Ca m’intrigue ce truc. Est ce qu’elle le retire tous les soirs ? Combien de temps met-elle pour le fabriquer ? Elle rigole en touchant avec ses doigts experts les perles de ses jambes. “Il me faut une semaine pour les faire, perles par perles en suivant un motif que j’invente. Moi j’ai plusieurs Wini alors tous les premiers du mois j’en change. Il me faut une journée pour les mettre et une journée pour l’enlever !” Quel boulot pour cette coquetterie ! Elle me raconte que cette mode vient des îles plus à l’est, que ça mère n’en portait pas. Mais elle trouve ça tellement beau qu’elle a cedé à la mode… Car les perles coûtent chères ! Il en faut plusieurs centaines et dans des couleurs différentes. Je crois comprendre que leur couple a correctement gagné sa vie à Panama ce qui lui permet d’avoir une vingtaine de Wini, comme nous on aurait un vingtaine de paires de chaussures…

Elle me pose pleins de question : d’où tu viens ? Comment tu t’appelles ? Tu as quel âge ? Et ton fils ? Combien ça coûte un voilier ? Depuis combien de temps tu voyages ? Elle adore Laszlo avec ses boucles blondes, il leur parait exotique. Quand elle le prend dans ses bras il hurle, ce qui l’a fait rire.
Je l’interroge sur leur repas, vous mangez quoi? “Du riz, des patates et du poissons. Quand je veux du poisson, il pêche là et j’ai du poisson” me dit elle en parlant de son mari et en désignant l’espace en plein courant entre son île et celle d’à côté. Elle rit tout le temps. “Normalement il y a plein de langoustes, mais là il y a un courant froid alors elles sont parties.” Est ce que tu manges de l’iguane aussi ? ” Oui! C’est délicieux ! Mais c’est dur à attraper. Il y en a un qui vit sur l’île à côté. Les œufs sont très bons” me dit-elle les yeux pétillants. Quel goût ça a? Elle se retourne vers son mari qui nous écoute avachie sur son fauteuil de camping. Elle lui parle en Kuna en l’appelant Papa. “Quel gout ça a papa?”  “Ça ressemble à du veau et les œufs, à des œufs de petites poules” me dit-il très sérieux. Elle me demande ce qu’on mange. Je lui raconte que nous nous sommes fait hier un risotto aux langoustes, poissons et poulpes. Elle sourit “Les Kuna ne mangent pas de poulpes. On pense que ça fait des enfants anormaux”. Sur la plage, deux lencha. Ces barques traditionnelles faites d’un seul bloc dans un tronc d’arbre. J’apprends qu’il faut 8 à 9 mois pour en tailler une.

Je repense alors à cette autre île minuscule où vivait une famille. Ils avaient bien décoré et aménagé leur petit territoire : une allée de coquillage menait jusqu’à leur hutte. Une grande table en bois permettait sans doute d’accueillir des touristes pour un repas. Sur un panneau en bois était écrit “$3 for the island tour” un brin désuet quand en un seul regard depuis la panneau, on avait déjà fait le tour de l’île. Un moyen comme un autre de gagner un peu d’argent. En discutant avec la mère, elle me raconte qu’il y a une semaine son fils a cassé leur barque sur un récif perdant au passage toutes les courses qu’il était allé faire sur le continent. “Est ce que vous avez besoin de quelque chose?”  Elle me demande de l’eau. Je lui propose 10L d’eau en échange du droit de faire le tour de l’île avec Adrien et son père qui nous a rejoins pour une semaine. Elle est d’accord. Ça me manque de ne pouvoir avoir plus souvent de rapports basés sur le service, l’entraide et non pas sur l’argent. Sur leur plage, un tronc d’arbre a commencé à être creusé pour faire une nouvelle barque…qui sera à l’eau dans 8 mois.

Nous quittons ce petit paradis tranquille et sauvage pour nous diriger vers le canal de Panama. En un mois ici, Laszlo a appris à nager avec des brassards et a dominer sa peur des poissons. Il a fait plus ample connaissance aussi avec son grand père “Baba” et Barbara qui nous ont rejoins pour une semaine placée sous le signe de la gastronomie : festin de poissons et langoustes tous les jours !

Bientôt nous retrouverons nos futurs équipiers, Valentine et Aymeric qui vont nous accompagner jusqu’aux Marquises. Derrière le cliché des cocotiers et du sable blanc se cachait la routine tranquille des îles et du peuple Kuna.