Après une navigation de 30 jours, nous avons enfin touché terre ! Et quellle terre ! C’est dans la baie de Hanavave sur l’ile de Fatu Iva que nous avons jeté l’ancre. Un baie surmontée d’énormes formations géologiques pareils à de grands tiki. C’est majestueux. Les bateaux copains avec qui nous avons fait la traversée, Saileat, Esplosisto et Karemo, sont pour arrivés peu avant nous. C’est l’effusion de joie quand on se retrouve ! On hurle tous sur nos bateaux, ça raisonne dans la baie, on est émus. Ca y est, on l’a fait. On a parcouru 7560km sur le plus grand océan. On a aimé le calme des 10 premiers jours, on en a eu marre quand la pluie nous a mouillé sans discontinuer, fatigués des vagues de 4m sur le côté, on était apaisé de regarder le soleil couler lentement dans la mer le soir en un panache de rouge et rose. Il était temps d’arriver, les 3 derniers jours on ne mangeait plus que du riz ou de la semoule avec un peu d’huile d’olive ou d’ail !

 

 

 

Les marquises sont indescriptibles. Il faut les sentir, vivre et côtoyer ses habitants. C’est un paradis, un jardin d’Éden protégé par l’immensité de l’océan autour de lui. Ces îles colonisées tardivement (1842) sont celles qui sont le plus éloignées de tout continent sur terre. Accessibles par bateaux principalement, et par avion depuis Tahiti. Mais ça reste le bout du monde.

C’est d’abord brutal visuellement. Depuis la mer ont voit se dresser des îles volcaniques montagneuses plantées dans l’océan de toute leur majesté. Peu de plages pour l’accueil, juste des falaises sombres que même les vagues n’ont pas réussi à briser, trop dure. Ces îles elles se gagnent. Elles ne sont pas faciles à aborder. Les baies sont peu protégées de la houle et secouées par le vent qui descend les vallées au galop pour s’engouffrer en trombe dans les mouillages. Peu importe, car du vent vient aussi l’odeur de la terre et des fleurs. Ce sont des centaines de parfums qui exhalent une fois la nuit tombée. Ilang-Ilang, Tiaré, Ibiscus…ainsi qu’une odeur fraîche d’agrume. Celle des pamplemoussiers et des citronniers qui poussent comme des pissenlits. Et enfin le dernier choc est émotionnel : la rencontre avec les gens d’ici. Ces gens d’une générosité oubliée et dont l’important est de vivre au présent. Une vraie leçon de vie.

Ils vivent de ce que leur prodigue la nature, un peu comme dans la chanson du Livre de la Jungle ! Il en faut peu pour être heureux… Du poisson péché à la traîne ou au harpon, crevettes d’eau douce piquées au trident dans les rivières, une chèvre ou un cochon chassé dans les montagnes, des fruits et de l’eau de source. Car si les gens sont généreux, la nature l’est aussi. Oui oui, cet endroit existe et il est bien sur terre !

J’ai presque peur de le dire, peur de révéler ce secret. Car il n’y a pas d’hôtel ni de Club Med. Quelques chambres d’hôtes pour le peu de touristes qui arrivent jusqu’ici. Et c’est sans doute pour ça que la vie n’est pas dénaturée et la bonté humaine pas corrompue. Les gens s’en foutent de l’argent, ils préfèrent le troc ou l’échange de service. Internet marche mal, ça a peut être un lien avec leur manière de vivre… Ils vivent de manière très communautaire, l’entraide est importante. Lié à l’éloignement de Tahiti et son ravitaillement tout les 15 jours. Lié aussi au fait que la plus grande ville compte 2500 habitants et le plus petit village une centaine. Tout le monde se connait, et presque tous ont des liens de parentés. Hmmm consanguinité vous allez me dire ? Oui, un peu dans les îles les plus reculées. Heureusement, les fêtes religieuses ou festivals annuels permettent de faire se rencontrer les villageois des différentes îles et mixer un peu les gènes. Ces fêtes rythme la vie quotidienne insulaire. Il y a toujours un événement, une kermesse, un match de foot, de pétanque ou de volley, une foire, un truc qui se passe pour animer la vie des villages. Alors chacun et chacune se met au travail, s’occupe : décorations florales sur les bâtiments, cuisine à plusieurs mains pour faire le cochon grillé ou le poisson cru mariné au lait de coco, installation de tente, récital de danse, de chant…

 

Bref, on ne s’ennuie pas ici. Les jeunes jouent au volley ou au foot, font de la pirogue en compétition, partent aider un parent à pêcher. La messe de 17h rassemble une grande partie de village. On s’occupe tout le temps.  Et on s’occupe aussi en cancanant, car ces petits villages n’échappent pas à la règle de la promiscuité, des rumeurs et des ragots. Ni à certains côtés plus noirs comme la pédophilie dont on a entendu parler à demi-mot mais qui semble un peu plus répandue qu’ailleurs. L’héritage déformé, semble t-il, d’un enseignement de la sexualité aux jeunes par les plus vieux qui se déroulait dans cette société très hiérarchisée et codifiée avant l’arrivée des colons. Les Marquisiens étaient pleins de rites et de coutumes tribales, anthropophages et très guerriers. Les colons ont fait exploser cette organisation sociétale en apportant le christianisme. Ils ont aussi décimé la population sans le vouloir, avec les maladies. Ils étaient 100 000 quand les îles ont été découvertes, ils n’étaient plus que 2000 au début du XXème siècle. Aujourd’hui ils sont 9000.

Nous avons fait des rencontres courtes mais intenses, partagé un repas de chèvre cuite au four marquisien avec Éléonore, Panui et leurs enfants, fait des balades en se faisant compter l’archéologie des Marquises par Jean à Hiva Oa, appris à faire des couronnes de fleurs avec Reva à Fatu Iva, récolté des citrons, des pamplemousse et des mangues avec Veronica, découvert les secrets des plantes médicinales avec Jérôme à Ua Pau, discuté agriculture et tourisme avec Koa, passé des soirée à refaire le monde avec Karine et Rémi deux français aux milles vies qui habitent Hiva Oa. Je passe sur les bateaux qui sillonnent les mêmes mers et qu’on retrouve de Panama aux Marquises, d’une île à l’autre, et qui finissent par devenir des copains.

Le matin et le soir il n’est pas rare de voir nager des dauphins dans les baies, ou de côtoyer d’énormes raie manta qui passent en groupe près des bateaux.

Nous avons une telle profusion de fruits que nous avons fait des confitures ! Nous sommes épatés de voir à quel point les habitants de ces îles vivent en harmonie avec la nature. Ils ne chassent et ne pêchent que ce dont ils ont besoin. Tout a un sens, un rôle, une utilité. Les arbres et les plantes qui font ces îles ont été importés sous forme de graines par les polynésiens venus des Samoa et des Tonga : pour nourrir, pour guérir et pour la construction. Ils n’ont pas besoin de grand chose pour vivre, la nature les régalent car ils la respectent. C’est de la coco et des bananes que la plupart des habitants tirent un petit revenu. La coco est ouverte et séchée pour faire de la coprah qui une fois envoyée à Tahiti sera pressée en huile pour faire le monoï. Beaucoup de marquisiens sculptent le bois, l’os ou la pierre en de petits colliers, tiki ou plats vendus aux voyageurs et touristes, puis deux fois par an au festival de l’artisanat à Tahiti. Certains aussi sont tatoueurs. L’ art du tatouage très spécifique à leur culture, reconnaissable aux graphismes et symboles. D’autres font du miel, d’autres des légumes, d’autres encore ont quelques chèvres ou un bœuf, la majorité pêchent. Les gens se débrouillent, se rendent service. Ont de belles valeurs de partage. Par exemple certains arbres fruitiers sont pour tout le monde, chacun peut se servir. Mais personne n’en abuse, ne prend plus que ses besoins ou revend la récolte. Et si finalement c’était la recette d’une vie équilibrée et heureuse ?