L’aventuuuure ! Oui, pour nous elle commence par l’Atlantique. Cet océan qui fait rouler nos bateaux sur des vagues plus grosses mais plus espacées qu’en Méditerranée. Cet océan où les vents sont plus établis et moins capricieux que sur notre bonne vieille Mare Nostrum. Et puis surtout les marées….

Nous avons quitté les Baléares direction Gibraltar. Sur la route, nous avons été accompagnés par une bande de joyeux dauphins, ils nous ont escorté jusqu’à Almerimar. Cette petite marina sur la côte sud de l’Andalousie a été notre étape après 2 jours de mer. Ça tombe bien, on arrive pour la fête de la Saint Jean : barbecue et feux de palettes sur la plage pour toute la ville  ! L’occasion pour Adri et moi de trouver un électricien pour réparer quelques trucs qui clochent à bord comme des bruits bizarres sur le compteur ou encore la VHF et le système AIS – une sorte de radar qui nous permet d’être détecté par les autres bateaux – qui fonctionne épisodiquement. Le vieux Raphael, l’électricien local, nous rassurera sur pas mal de truc et nous aidera tant bien que mal pour la VHF.

Il fait une chaleur à crever dès 9h du matin, on se demande comment font les gens juste pour se déplacer dans la rue. On en profite pour peinturlurer notre annexe pour qu’elle devienne bien reconnaissable, histoire de dissuader les éventuels gourmands de petits bateaux pneumatiques… Adri lui, le pauvre, passe sa journée entière dans les cales du bateau à faire la vidange et à remettre un filtre à gazole qui ne veut pas retrouver sa place. Je crois que je ferais un article spécial ” La vie à bord ” pour que tout le monde sache enfin que faire du bateau, c’est passer 70% du temps des étapes à terre à entretenir et réparer son bateau ! L’enfer.

Nous continuons ensuite la route pour le fameux “rocher”, Gibraltar. Ce bout de cailloux qui appartient à l’Angleterre repose gentiment devant l’Espagne, presque sur l’Espagne tellement c’est proche. Le courant est plus fort dans le détroit et le trafic dense. C’est une navigation sur le qui vive pour ne pas se taper un tanker. Arrivés à l’entrée du détroit, la vision est post apocalyptique ou plus précisément industrielle dans toute sa laideur.

Les tonnes de marchandises qui s’échangent d’un bout à l’autre des continents transitent sur d’énormes monstres de ferrailles pour la plupart déglingués, lesquels stationnent dans la baie en attendant on ne sait quoi. Ça sent le mazout, l’eau est trouble, le moteurs ronronnent bruyamment, des avions décollent toutes les heures du petit bout de piste qui grignote la mer au pied de Gibraltar. On se demande qui peut habiter ce coin. On s’arrête à la Marina de la Linea Conception, la ville hispanique à côté du rocher. On est coincé entre l’aéroport, ses bruits et ses diarrhées de kerozène et les pets au mazout des tankers. La joie. Heureusement, nous avons rendez vous avec la famille du voilier Zanzibar. Marine Karemo les a contacté plus tôt grâce à leur blog : ils ont notre âge, deux enfants de 5 et 2 ans, et ils sont cool ! Il n’en faut pas plus pour lier connaissance, allez hop ! Effectivement, les enfants de Karemo deviennent culs et chemise avec ceux de Zanzibar. Et pour les parents, c’est une occasion rêvée de nous poser autour d’un verre et d’une bonne bouffe. Laurent et Bérangère nous accueillent sur leur bateau pour la soirée. Et devinez quoi ? Laurent bossait pour des chantiers navals, autant dire une pépite d’or pour les marins que nous sommes 🙂 ” Ha super ! Tu t’y connais en VHF et AIS ? Et tu sais réparer un moteur ? Notre voile aussi, faudrait que tu jettes un coup d’œil, puis j’ai un interrupteur qui déconne…” Adrien est au ange, tout comme Laurent qui va enfin pouvoir mettre ses talents de bricoleur en branle. Parce que sur Zanzibar, tellement bien préparé, il attend la panne comme on attend le poisson au bout de la ligne….

En parlant de poisson, on fait moins les malins avec nos baby thon de 5kg qu’on a péché au large. A côté de nous, la pêche c’est un sport sérieux de gentleman. 5 gros bateaux à moteurs rentrent au port la nuit tombée. 2 d’entre eux ne sont pas bredouilles…Quand on voit la taille des poissons, deux trucs nous traversent l’esprit : nan, sérieux ça existe pour de vrai ? Et comment  ils ont pu pêcher ça avec des cannes ? A l’arrière du bateau repose gentiment un énorme thon de 150kg. Même physique que nos thons, mais disproportionné. Un bête à la Avatar,  tout droit sortit de notre imagination : le truc flippant auquel tu penses quand tu te baignes sans voir le fond. Les pêcheurs ? 5 ou 6 jeunes et 1 ou 2 seniors, petit polo-bermuda-chaussure-bateau. Ils ont lutté 2 heures pour le sortir de l’eau. Quand je leur demande si c’est leur boulot, l’un d’entre eux me répond que c’est juste un hobbie. “Et vous allez le manger ?  – Non, on n’est pas équipé pour le découper. On le vend à une poissonnerie. – Combien? – 1000€” Ha oui, quand même. Les équipes des différents bateaux lavent leurs engins tout en décrivant leur scène de bataille respectives, ça parle fort, ça fait de gros gestes avec les mains, chacun y va de son anecdote tout en rangeant avec minutie le matériel et les bateaux.

Il nous tarde de quitter cet endroit moche. On décide de partir, poussé par de bons vents jusqu’à Tarifa qui est à la sortie du détroit. C’est très sportif ! Les vagues sont rangées n’importe comment, se croisent, les courants sont parfois avec nous, parfois contre nous, la mer forment des tourbillons, on se croirait en territoire damné. Après 5h de navigation au moteur, ralentis par le courant, nous arrivons à destination. On mouille dans la baie qui est avant le port car ce dernier n’est pas prévu pour la plaisance. En quelques minutes, on se fait gentiment éjecter : il ne faut pas rester là, c’est une zone protégée. Allez sur le quai là bas pour la nuit. Mouai…je le sens pas leur quai. Un immense mur de pierre orné d’énormes bouées rigides, c’est un endroit pour les ferry pas pour les voiliers. D’ailleurs les ferrys, il en passe deux énormes avant qu’on se décide à bouger, sous la pression d’un gars du port qui revient nous voir pour nous hurler qu’il appelle les flics si on ne dégage pas ! Merci pour l’accueil, on repassera.

On amarre nos bateaux sur ce quai minable, à l’entrée du port dans le virage des ferrys. On oubli très vite les bateaux en découvrant la ville magnifique. Toute blanche, en dédale de ruelles et petits porches. Ça vie, ça grouille de monde, de resto, de bar, de magasins plus jolis les uns que les autres. Un peu bobo, un peu traveler du bout du monde. C’est chouette comme ambiance. Quand on rentre au port, on rigole d’abord en voyant les mâts des bateaux danser. On rentre nos dents quand on se rend compte qu’ils sont beaucoup trop proches du quai….

En bon candides de l’atlantique, nous avons complètement oublié les marées… C’est la cata ! L’eau est descendu d’1,5m, brisant l’une des amarres de Karmo qui frotte d’un bruit strident contre le quai. Quant à Gaïa, l’une des bouées rigides est passée par dessus les filières brisant l’un des chandeliers ( les filets et les poteaux autour du bateau ). ll faut qu’on dégage d’ici immédiatement ! J’appelle la capitainerie depuis la VHF. C’est compliqué pour eux d’accueillir des voiliers. Vue la houle dehors, il est impensable de jeter l’ancre à l’extérieur du port. Je leur force un peu la main, expliquant qu’on a des enfants en bas âge…

Un de leur bateau pilote, ces petits bateaux qui guident les ferrys, vient nous pour nous expliquer où nous amarrer pour la nuit, sur des pontons flottants prévu pour les navettes de touristes. L’un des gars, le même connard qui m’a aboyé qu’il allait appeler la police plus tôt, s’impatiente. “Vous dégagez maintenant vous avez compris ? Il n’y a pas d’autre place de toute façon, donc tu prends ton bateau et tu te barres là bas ! Compris !? Il y a un ferry qui arrive dans 5min, tu dégages maintenant !” Whaooo! Dis donc, je suis abonnée aux énervés des ports qui se défoulent sur moi qui ne peut pas leur répondre dans mon espagnol bredouillant. Je pense aussi que la sale réputation des français, resquilleurs et sans gêne, me dessert…

Adieu Tarifa la douce, en route pour le port de la Barbate à 6h de navigation. Là bas tout est prévu pour les voiliers, c’est un peu excentré de la ville mais bien propre. On fait la rencontre d’Emilie, Sylvain, Edouard et Felix, les quatre compagnons de route du voilier Taka. lls sont français, ont entre 23 et 31 ans, et ils voyagent avec le projet de partager leur compétences, soigner les gens et s’enrichir de nouvelles pratiques. Ils sont ostéo, acupuncteur, infirmière et cameraman. Ils reviennent du Maroc.

 

On s’échange les bons conseils, les astuces de réparations pour les hommes, les endroits à visiter à Rabat pour les filles. On se quitte deux jours plus tard sur un apéro monumental rythmé par les harmonicas, les guitares et le youcoulélé. Dur le réveil le lendemain pour affronter les 2 jours de navigation qui nous mèneront à Rabat. La houle est bien formée, le vent bien installé, on avance vite. On surfe sur les vagues. Adieu douce Europe, et hâte de te découvrir Afrique.