Gaïa continue son voyage au galop ! Nous avons passé 3 semaines aux Baléares, un peu frustrés de devoir aller aussi vite mais ce petit goût de paradis nous donne envie d’y revenir plus tard. Surtout Minorque. Nous avons navigué 2 jours pleins depuis la Sardaigne pour rejoindre cette petite île au nord des Baléares. Elle est sauvage,  préservée du tourisme de masse et de ses constructions envahissantes qu’on retrouve le long des côtes au fur et à mesure qu’on descend vers Ibiza.

Cela fait maintenant presque un mois et demi que nous avons quitté le port de Sète. Un mois et demi que nous sommes des “gens du voyage”, sans adresse mais toujours connectés à internet donc au monde. Nous sommes en Europe quoi ! Nous traversons des territoires déjà connus pour certains d’entre nous mais surtout balisés par le fameux Guide Côtier, un gros bouquin qui détaille île par île en méditerranée tous les mouillages accessibles en fonction des vents. Tout est sur des rails, on sait où l’on va. C’est les vacances. On a un sentiment de sécurité, un programme défini, un certain contrôle sur les choses et on reste un peu entre nous.

Au fur et à mesure que nous descendons les Baléares, nous décidons avec nos copains de Karemo de nous pousser à rencontrer des gens. Tout du moins rester en veille : capter un regard, un geste, une intention, se laisser aller aux intuitions de la bonne rencontre. Car le voyage commence ici, avec les rencontres. Et les rencontres entre marins se font souvent autour d’un apéro le soir…

Minorque

Comme ce groupe de kayakiste français sur la crique de Turqueta à Minorque, en mode Le Coeur des Hommes : sans femmes et enfants, ils partent entre copains chaque année à la découverte des îles en méditerranée. Avec Adrien et Laszlo qui patauge dans le sable, ce sera l’occasion d’un grand apéro festif où nous partageons nos provisions : un peu de vin rouge et notre gravelax de thon maison ! Ils voyagent avec un Evissenc, un gars d’Ibiza nu la moitié du temps, cheveux mi long blondit par le soleil, petit et trapu il a des airs de surfeurs Hawaïens mais se déplace à la lenteur d’un moine bouddhiste. “C’est dingue parce que dès qu’on arrive à un endroit, il passe un coup de fil puis il tend son doigt pour dire “c’est là qu’il faut aller”. Ce mec a des connexions sur toutes les îles !” rigole l’un des français. C’est comme ça qu’ils découvrent les petits resto du cru ou les grottes cachées dans les falaises surplombant la mer. Raphe nous donne pleins de bon tuyaux sur Ibiza dont il dessine la carte dans le sable : apparemment c’est le nord de l’île qui est intéressant. On les quitte lorsque la nuit pointe son nez, un peu ivres et avec le numéro de Raphe dans le maillot. “Call me if you need anything when you’ll be in Ibiza.”

Les vacances continuent donc. On longe Minorque par le sud jusqu’à la magnifique ville de Ciutadella. Sur la route on est tombé sous le charme de la Cala Cuevas. Une crique encaissée entre deux hautes falaises blanchâtres qui renferment tout un tas de petites grottes troglodytes creusées il y a plus de 2000 ans : c’était une grande nécropole. Dans les années 70, les hippies les ont habitées pour y vivre d’amour et d’eau fraîche ce qui a poussé les pouvoirs locaux à les sceller pour éviter que ce ne soit trop dégradé. C’est quand même classé au patrimoine historique ! Pas question que ce soit privatisé par des chevelu à poil… Plus tard, c’est devenu LA crique nudiste de Minorque. A tel point que les autorités locales ont aussi fini par interdire les culs nus parce que c’était l’embouteillage de bateaux dans la crique : sous prétexte d’admirer les falaises et ses grottes ils admiraient surtout les chutes de reins et les toisons qui se doraient outrageusement au soleil. Quand on y était, on a vu quelques nudistes nostalgiques. Enfin, surtout une. Une femme splendide, pulpeuse, revêtue d’une cascade de cheveu brun sur une peau hâlée sans aucune marque. Dans l’eau à mi cuisse, elle a passé quelques heures dans cette position mi méditative mi exhibitionniste, offerte au soleil et aux regards en toute innocence. Manon des sources incarnée, d’après Olivier. Manon des grottes.

Majorque

Puis de Minorque nous naviguons une journée jusqu’à Majorque, plus grande et plus peuplée.  On passe par la côte nord, dépasse le magnifique cap Formentor où l’on fête l’anniversaire de Marine ( celle de Karemo ! ) puis on longe ses grandes falaises jusqu’au petit bout d’île Sa Dragonera. L’endroit est apaisant, il nous fait beaucoup penser à Port Cros ! Garrigue odorante, chemin caillouteux orangé, pinèdes et relief de calcaire, vieille tour en pierre et oliviers centenaires. Nous avons mouillé avec Karemo devant le petit embarcadère qui déverse des touristes ou des classes vertes d’enfants la journée. En ce moment ce doit être la période de reproduction des mouettes : c’est leur territoire ici ! On retrouve au détour des chemins des paquets de plume et parfois un oiseau mort au combat. Mort par amour dans un duel de mâles ou mort d’avoir voulu piquer les œufs des femelles ? En tout cas, pas question de passer trop près des nids.

C’est ici que nous rencontrons Charlie et sa petite famille sur un catamaran de location, des français en vacances qui testent pour la première fois la vie en mer avec leurs 3 enfants avant d’envisager un plus long voyage. Son ancre s’est coincée sous un rocher, et en voyant le gabarit d’Adrien et d’Olivier il s’est dit qu’il avait trouvé ses sauveurs. Bingo! L’occasion d’un apéro familial, allez hop ! 6 adultes, 5 enfants et un bébé. La grande table sur laquelle on a étalé chips, bières, Philadelphia, saucissons, carottes et pistache se transforme en champs de bataille. Chaque parents continue de discuter tout en surveillant du coin de l’œil les assauts répétés d’une petite main qui fait du plâtre avec le fromage blanc, d’un bras qui renverse un verre pour mieux écraser les chips, d’une petite bouche qui louche sur les canettes de bières, des genoux en mission commando à travers la table pour s’emparer du couteau qui traîne. Tout ça au milieu des hurlements de Laszlo qui n’est pas satisfait par son biberon. Dans cette joyeuse ambiance, on discute de nos vies et on apprend que Charlie était le DG du fabriquant de voile Incidence. Ça tombe bien les voiles de Gaïa commencent à fatiguer ! C’est comme ça qu’on repartira le lendemain avec un précieux petit bout de papier sur lequel notre nouveau copain a soigneusement noté les prix moyens de nos voiles, la personne à contacter et comment prendre les côtes.

Palma tu ne nous aura pas.

On arrive ensuite à la capitale, Palma. La grande ville. Le plus gros hub de bateau en méditerranée apparemment. On s’en rend vite compte après s’être fait refouler de toutes les marinas du gigantesque port ! Karemo avec ses 12 mètres trouve un place, mais avec notre petit 11 mètres on n’intéresse personne. A y regarder de plus près effectivement, l’endroit est plutôt accueillant avec les yachts de 30 mètres et les voiliers avec crew en polo bleu marine qu’avec notre “petit” bateau de hippie paré de bidons d’eau et de linge qui sèche. On se fait rembarrer méchamment par un gars d’une marina qui nous fonce dessus avec son annexe alors qu’on tentait d’amarrer à une place vide. On a joué on a perdu. “Foutez moi le camp! Vous avez compris ? Dégagez bordel! Il n’y a pas de place, pas de place ! Que je ne vous revois pas ici !” dans un espagnol qui n’a pas besoin de traduction. Je suis secouée et énervée. J’ai plus du tout envie de passer la nuit ici. On se résigne à mouiller dans la baie à 2 kilomètres du port, face à une grande plage. C’est moche et l’eau n’est pas vraiment transparente. C’est pas grave, on économise une nuit de port, on a encore de l’eau dans les cales et on ne manque pas de nourriture.

Un petit coup d’annexe et hop! On est en 20 min dans la superbe ville de Palma. Un dédale de rue étroites, des fenêtres avec balcons sur lesquels on a poussé les rideaux pour cacher le soleil trop puissant, des cours intérieures ombragées avec des colonnades et des arches, des barreaux en fer forgés aux fenêtres et portes des rez-de-chaussée. Très médiéval. Moins médiéval les Zara, H&M et Woman’s secret qui se logent au creux des édifices modernes, mais l’occasion d’un grand shopping de maillot. Et surtout d’un détour par le Décathlon city ! Pour ceux qui connaissent Adrien, vous saurez que c’est son temple. Il attendait cette étape juste pour le Décathlon. On s’étonne de voir que Laszlo développe des plaques de boutons rouge sur tout le corps. On découvre grâce au chauffeur de taxi, qui nous ramène à l’annexe le soir, que là où est le bateau se jettent les égouts de la ville. Super. “C’est une honte! Regardez moi cette plage pleine des merdes des touristes! On devrait choisir combien on en accueille. Tout est pollué, salit…” enrage t-il. C’est un vrai sujet tiens. Mais nous aussi sommes touristes finalement. Et nous aussi nous nous plaignons du trop grand nombre de vacanciers qui dénaturent et dégradent les lieux que nous visitons…

Dans la nuit, attaque de moustique ingérable : ni la prise, ni la moustiquaire Décathlon mal installée, en viennent à bout. On capitule. On bouge le bateau à 6h du mat direction Las Iletas à quelques kilometres à l’ouest de Palma, une petite crique dévorée par les immeubles balnéaires mais avec une jolie plage et une eau claire. Le pauvre Laszlo, déjà attaqué par la pollution a servit de repas à nos hôtes d’un soir. Il porte 24 traces de piqûres ! Il a maintenant l’air d’un galeux dont les parents éloignent les enfants sur la plage mais il fait bonne figure.

Ibiza, de loin

On aimerait s’arrêter dans tous les coins d’Ibiza dont nous a parlé Raphe, mais le temps presse un peu. Curieux non pour des gens qui sont en voyage pour plus d’un an ? En fait avons un planning un peu ambitieux… Entre les périodes cycloniques qu’il faut éviter, les amis qui nous rejoignent à certaines étapes, les pays que nous voulons absolument visiter sur la route, et bien nous devons avancer à un rythme un peu soutenu. Du moins en méditerranée, pour se garder plus de temps aux Canaries, Cap Vert et Antilles. Vacances ou voyage du coup ? 🙂

On s’arrête donc à Tagomago. Ce merveilleux cailloux sauvage posé comme une tranche de gâteau au sud-est d’Ibiza, une île privée. A son sommet, une gigantesque villa aux murs blanc accueille les chanceux vacanciers qui peuvent débourser 26K€ la nuit. Adolescente, je m’étais arrêtée sur cette île en voilier avec des amis de ma mère, juste après une nuit de mal de mer. C’était la délivrance. La villa à cette époque était abandonnée. Dans la piscine vide, le pêcheur du coin faisait sécher son poisson. En bas, au pied de la petite falaise un cabanon en bois faisait office de petit restaurant. Tagomago ressemble toujours aux souvenirs de mon enfance, préservée. Seuls les quelques bateaux à moteurs et le ponton à Jet-ski troublent un peu sa quiétude, mais seulement jusqu’à la tombée du jour.

La dernière étape est Espalmador, une presqu’île entre Ibiza et Formentera qui dans mon souvenir était déserte et qui maintenant ressemble à un port tellement il y a de bouée de mouillage. Payantes bien sur. Il n’y a pas de hasard, car c’est là que nous rencontrons Benoit et Caroline tous les deux amoureux de la Casamance, cette région du Sénégal ou serpente le fleuve Casamance. On hésitait à y aller! Autour d’un verre, ils nous donnent pleins de bons conseils, nous montrent leurs cartes marines du Sénégal, nous racontent leur histoire d’amour avec ce pays et leurs habitants, nous donne les numéros de leurs amis là bas. “A force de donner des conseils sur la Casamance aux marins, je me suis dit que j’allais faire un raodbook !” nous dit Benoit. “J’ai tellement envie que les gens découvrent cette région de l’Afrique, il y a très peu de tourisme c’est préservé.” Jusqu’à quand ? Encore cette histoire de tourisme… Benoit et Caroline sont sincères, ils souhaitent vraiment que les gens qu’ils ont rencontré là bas puissent faire vivre leur petits commerces.

Après les avoir quittés je suis prise d’une sensation nouvelle, un peu comme quand on descend les montagnes russes à la foire, mes entrailles se soulèvent. Oui, je réalise à partir de maintenant que le voyage commence. Nous quittons bientôt l’Europe et ses contours balisés. Nous nous apprêtons à sortir de notre zone de confort, à vivre l’inattendu, à se fier à notre instinct et à l’échange de précieux conseils entre marins croisés sur la route. Plus de guide côtier. Bientôt plus d’internet à porté de main. Plus la même nourriture, sans doute moins d’accès à l’eau douce, moins de ports. Prendre le temps des rencontres et peut être modifier notre feuille de route. Lâcher prise…

On quitte le mouillage pour Almeria en Espagne, prochaine étape avant Gibraltar. On regarde la côte d’Ibiza défiler, rongée par les nombreux immeubles. On entend d’ici l’electro des boites de nuits, elles sont pourtant à plusieurs kilomètres et il est 15h ! Ha le tourisme…